La semaine dernière, je vous ai partagé le deuxième article concernant l’interview que j’ai mené avec Loris Petris, professeur en littérature à l’université de Neuchâtel. Les avantages et les inconvénients de l’arrivée du numérique dans le métier d’historien, y sont détaillés selon son point de vue. Dernier volet de cette trilogie d’articles pour conclure sur la question !

Loris Petris lors du « Tchat des Master » organisé par l’Université de Neuchâtel
Un avis mitigé sur la question
Pour Loris Petris, Internet et le numérique possèdent des avantages tout comme des risques : « il faut peser le pour et le contre tout en restant critique et vigilant. Un outil n’a de sens que par rapport à son utilité et que grâce à l’esprit qui l’utilise ». Pour lui c’est vraiment complémentaire et on le voit bien au travers de son travail mené dans l’édition de la correspondance de Jean du Bellay, un cardinal et diplomate français du 16e siècle. Durant ces travaux, il a été nécessaire pour lui aussi bien d’utiliser Internet pour localiser des sources et accéder à des catalogues et des études, que de se rendre dans les dépôts d’archives dans toute l’Europe et surtout en Italie, pendant près de quinze ans. Même si des versions de certains ouvrages sont disponibles en ligne, cela ne saurait remplacer le contact avec le document original, qui dans le 99% des cas n’est pas numérisé ! De plus, malgré l’avancée des reconnaissances graphiques, rien ne remplace des compétences paléographiques, que l’on peut exercer via Internet (par exemple sur le site de l’Ecole des chartes) mais qu’aucun moyen technique ne remplace. « La technique ne remplace pas la compétence » résume-t-il.
C’est comme la relecture : il m’a affirmé que pour lui il est toujours préférable de la faire sur le papier : « l’œil ne voit pas les mêmes choses sur le papier et l’écran ». Il s’est d’ailleurs amusé à le prouver à ses étudiants, qui lui affirment le contraire, en faisant des tests de rapidité. Il trouve d’ailleurs que la mémoire d’un texte est meilleure si elle est liée au papier, ce qui est démontré par plusieurs études sur la cognition. L’apprentissage exclusivement via les écrans numérique n’est pas une bonne chose selon lui puisque « la souris, le clavier, l’écran, ne peuvent pas tout faire » et ne remplacent pas le travail physique donc mnémotechnique de la main.
Conclusion : est-ce que le numérique a fait évoluer son travail d’historien ?
Pour Loris Petris, le numérique et Internet ont fait évoluer son métier sans en changer radicalement le contenu. Ce sont des outils complémentaires qui s’ajoutent mais le métier en soi n’a pas changé : se poser les bonnes questions, dialoguer avec autrui, douter, chercher pour ensuite partager. Ces outils ne sont ni bons, ni mauvais : ça dépend ce qu’on en fait. Il me cite l’exemple des emails qui d’un côté sont remarquables dans la vitesse des échanges mais d’un autre côté pesants et envahissants. Ainsi, savoir se déconnecter et prendre de la distance sont deux choses sur lesquelles il insiste. L’utilité des nouveaux outils comme les MOOCs (cours en ligne) ou les documents numérisés en ligne est évidente, mais il préfère le contact direct avec les choses et les personnes.
Quand je lui ai demandé si aujourd’hui il pouvait se passer d’Internet dans sa vie d’enseignant et de chercheur, il m’a dit que dire oui serait un mensonge. A ce jour, c’est délicat de faire sans, rien que pour l’utilité et la rapidité des emails. Pour lui, Internet reste un outil indispensable qui doit être encore amélioré.
En conclusion, le numérique et Internet sont utiles mais insuffisants et surtout perfectibles. Utiles pour les avancées dans le métier et la rapidité des échanges, insuffisants au niveau de la dépendance linguistique et perfectibles au sujet de leur pérennité et des OCR.
Ainsi, grâce à cette interview de Loris Petris, nous voyons que le numérique n’est pas toujours « la solution » et qu’il engendre certains de problèmes sans en résoudre d’autres. Comme le dit si bien l’historien, c’est un outil complémentaire qu’il faut apprendre à manier. Ses trois mots de conclusion, utile, insuffisant et perfectible, illustrent toute la problématique et l’ambiguïté du numérique.
Consulter les articles précédents sur Loris Petris :